Friends, une secte ?

Des similitudes troublantes

Friends, depuis ses débuts, se fonde sur une idée simple  : l’amitié totale entre six personnes d’origines et de classes sociales et culturelles différentes, un groupe d’amis New-Yorkais passant leur temps à bavasser, discuter et consommer des hectolitres de café, dans une atmosphère de babillage brillant, vif, acide, enlevé. Un cercle ou, pour ajouter une dimension, une bulle impénétrable. Cercle ? Bulle ? Mais allons plus loin : cet univers n’aurait-il pas quelques points communs avec celui des sectes ?

Certes, le terme de secte peut paraître un peu fort. Cependant, des analogies existent entre l’image que l’on s’en fait et la série Friends. Les six vivent les uns sur les autres quasiment vingt heures sur vingt-quatre. Ils vivent ensemble ou sont au café. Pour décrire la nature de leurs relations, certains ouvrages sur Friends parlent de famille, avec Monica en guise de maman officieuse. Or c’est beaucoup plus que cela : ne forment-ils pas carrément une seule et même entité, une personne morale rappelant ces concepts chers aux instituts de sondage : le cadre CSP, le 15-25 ans, ou la désormais légendaire ménagère de moins de 50 ans ?

Dans cette bulle, peu importent les origines sociales, familiales, culturelles, les tendances psychologiques ou sexuelles : tout cela se mêle. Nous avons tous des amis ou des relations issus de couches sociales disparates, mais voyons-nous souvent, dans nos sociétés occidentales, un cadre supérieur d’une grosse société entretenant une relation amicale, plus que fraternelle, avec un acteur raté, sans le sou et à deux doigts du crétinisme ?

D’ailleurs, toutes les séries qui ont suivi Friends n’ont pas respecté ce schéma : l’action, le plus souvent, se déroule entre personnes du même monde et n’apparaissent quasiment pas, ou alors dans des rôles quasiment marginaux et sans incidence sur la trame de l’histoire, des personnages faussement crétins, complètement décalés ou évoluant dans leur petit monde, tels, dans Friends, Phoebe ou Joey. Ils seraient, ailleurs, traités en faire-valoir. Ici, ils sont ni plus ni moins importants que le reste de la troupe et s’intègrent parfaitement au scénario.

Les sectes et Friends ont donc cela en commun : réunion hétéroclite de personnages n’ayant en apparence rien qui les unisse, d’une part, exclusion des non-membres d’autre part. Pour le premier point, un exemple, celui de Joey  : dans la troisième saison, un épisode en flashback montre sa rencontre avec le groupe, un an avant l’épisode pilote. Le mécanisme scénaristique permettant à Joey de faire connaissance avec la bande est quelque peu chaotique : le jeune Bing cherche un colocataire. Or, il a le choix entre, d’un côté, Joey, sa télé et sa certitude que Chandler est gay et d’un autre, un photographe de mode qui projette d’inviter des top models dans l’appartement ! Son choix est vite fait, mais grâce à l’intervention étrange de  Mr Heckles, qui fait fuir l’élu, Chandler est contraint de se tourner vers Joey. Par la suite, tous deux sympathisent grâce notamment à leur goût commun pour Alerte à Malibu, mais nous ne pouvons pas dire que le premier contact fut chaleureux. Au contraire et comme prévu, ce fut froid, entre un jeune informaticien cultivé de vingt-quatre ans, plutôt aisé et intelligent et un jeune acteur au chômage perpétuel, peu cultivé et aux manières rudes. Cependant, un an plus tard, nous les retrouvons tels deux frères inséparables, ayant les mêmes goûts, malgré les railleries continuelles et amicales de Chandler. Tout aussi surprenante apparaît l’amitié entre Monica et Rachel, deux filles qui n’ont, à priori, rien en commun.

Sur le second point, l’exclusion des éléments extérieurs, nous n’avons que l’embarras du choix : n’ont duré que  Gunther,  Janice et les époux Geller. Tous les autres, étoiles filantes, n’ont fait que passer. Dans le domaine amoureux, où l’inconstance est de règle, seul fait exception  Richard Burke  Tom Selleck, intégré quelque temps à la bulle, se confondant aux autres, avec notamment sa façon de s’avachir dans les canapés de Monica, ou, grâce à son humour à froid ravageur, tenant parfois la dragée haute à Chandler. Sa séparation d’avec Monica restera d’ailleurs un des moments les plus intenses émotionnellement de la série.

Troublant, non ?

Par Gildas Devos
Extrait de 10 ans de Friends, page 319
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